L’indépendance de la Flandre

J’étais dimanche dernier l’invité de l’émission « Rendez-vous » sur RTL-TVI pour parler de l’indépendance de la Flandre. A l’origine de cette interrogation récurrente, il y avait un sondage paru la semaine dernière mentionnant que 40% des Flamands souhaitaient l’indépendance de leur région « à terme » et 46% le confédéralisme le plus vite possible.

Vous trouverez le lien vers cette émission en cliquant ici.

Cette émission politique très populaire en Belgique francophone peut paraitre assez décousue dans son déroulé. Le fait est que l’on a parlé de beaucoup d’autres chose que l’indépendance de la Flandre. Je développe ci-dessous quelques réflexions par rapport à ce sondage et à l’indépendance de la Flandre que, pris par le temps, je n’ai pas pu exprimer lors de l’émission.

Retour sur un sondage à l’étrange présentation

Ce sondage indiquant que 40% des Flamands souhaitent l’indépendance de la Flandre « à terme » est une première et une surprise. La volonté de la population flamande d’aller jusqu’à l’indépendance de leur région est mesurée depuis plusieurs dizaines d’années, soit par des enquêtes d’opinion, soit par des études universitaires plus poussées. Si cette volonté fluctue selon les circonstances, elle n’a jamais dépassé 15%.

Mais il apparaît que la manière de présenter le résultat de l’enquête est bien étrange. En effet, comme le décrit Willem Sas (université de Stirling) dans De Tijd, l’enquête en ligne proposait de noter la désirabilité d’une proposition sur une échelle de 0 à 100. Plutôt que de présenter le résultat de manière nuancée – en détaillant par exemple la proportion de sondés totalement opposés à l’indépendance, neutres, plutôt favorables ou franchement partisans – il a été décidé de séparer les répondant en deux blocs homogènes, selon qu’ils avaient cliqué à droite ou à gauche du chiffre fatidique de 50. Le sondage gagne ainsi en visibilité médiatique ce qu’il perd en nuance et, oserions-nous dire, en honnêteté intellectuelle.  

Une Flandre indépendante expulsée de l’Union européenne 

Mais, il faut surtout souligner que les Flamands favorables à cette indépendance, ne sont probablement pas conscient de ce que cette perspective représente concrètement. Rappelons ici un principe et une question centrale lorsqu’il s’agit de la Flandre. Le principe, c’est que tout nouvel État qui devient indépendant ne fait, au moment de sa création, partie d’aucune organisation internationale. Il lui appartient de réadhérer, s’il le souhaite, aux organisations dont faisait partie l’État dont il est issu. Ce principe s’applique à l’Union européenne – malgré l’existence d’une littérature juridique affirmant que l’UE ferait exception à cette règle. Ceci a été clairement affirmé par la Commission européenne ainsi que par plusieurs grands États (notamment la France et l’Espagne) au moment du référendum d’indépendance écossais de 2014. La Commission a d’ailleurs bien fait comprendre qu’une Ecosse indépendante n’aurait aucun traitement de faveur par rapport à un autre État candidat. Elle devrait donc suivre la procédure d’admission, particulièrement longue et méticuleuse et passer ainsi plusieurs années hors de l’Union. Ce fut d’ailleurs l’une des causes de la défaite des indépendantistes écossais lors de ce référendum. Il y a fort à parier que les Flamands qui désirent une indépendance de leur région n’ont pas conscience qu’ils se feront expulser de l’Union européenne avant de pouvoir espérer y revenir. L’expression faciale de la représentante de la N-VA sur le plateau au moment où j’expliquais ceci laisse d’ailleurs supposer que les nationalistes ne souhaitent pas vraiment que cette éventualité soit trop évoquée.

Une Flandre indépendante sans Bruxelles et appauvrie

La question centrale lorsque l’on parle d’indépendance de la Flandre est celle du statut de Bruxelles, ville-région à la fois capitale de la Belgique, de la Flandre et siège des principales institutions européennes. La plupart des Flamands imaginent que Bruxelles viendrait avec eux en cas d’indépendance. Or il y a fort à parier que cette ville-région multiculturelle et très majoritairement francophone n’aurait aucune envie de rejoindre une Flandre qui, dans l’hypothèse d’une indépendance, serait dirigée par l’extrême-droite. La perte par la Flandre de sa capitale ne serait pas seulement symbolique, mais également politique. Bruxelles est d’abord la porte vers les institutions européennes. Les Flamands y ont aujourd’hui pleinement accès, ce qui ne serait plus le cas en cas d’indépendance, en tout pas automatiquement. Plus prosaïquement, l’indépendance de la Flandre sans Bruxelles serait une perte énorme financière énorme pour la première par rapport à la situation actuelle. Pour expliquer pourquoi, pointons des données apparemment paradoxales : Bruxelles est l’une des régions d’Europe où le PIB par habitant est le plus élevé, alors que si l’on considère sa population, elle est la région la plus pauvre du Royaume. La richesse de Bruxelles est en effet produite par les navetteurs qui viennent travailler tous les jours de Bruxelles ou de Wallonie. Le système belge actuel alloue les ressources en fonction du lieu de résidence des travailleurs, alors qu’un travailleur transfrontalier paie ses impôts dans l’État où il travaille. Ainsi, si la frontière entre la Flandre et Bruxelles devint une frontière d’État, la Flandre ne pourra plus compter que sur les contribuables travaillant sur son sol. Il y a là aussi fort à parier que les Flamands favorables à l’indépendance n’ont pas conscience de cette perte considérable.

En dernier lieu, et comme le mentionnait lors d’une de mes interventions (lien), la voie vers une indépendance est balisée et ne peut résulter d’un accident. Il faut d’abord un accord entre les politiques de la région aspirant à l’indépendance et de l’État que celle-ci entend quitter. La volonté de la population doit ensuite être testée par référendum. Vient enfin la reconnaissance internationale octroyée par les États étrangers et le début du processus d’adhésion à l’Union européenne. On a donc tout le temps d’exposer les désavantages pour la Flandre de s’engager dans cette voie.

Il y a presque 20 ans que l’émission Bye-Bye Belgium mettait de manière fracassante sur la table la question de l’indépendance de la Flandre. Nul doute que l’on parlera encore pendant au moins 20 ans de ce sujet passionnant. Entre-temps, la Belgique pourra fêter son bicentenaire en 2030.   

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