Oublier la 2ème vague, identifier les clusters

La deuxième vague serait à nos portes. Si elle a été maintes fois annoncée, cette fois ce devrait être la bonne selon Marc Van Ranst, le virologue-star flamand. Celui-ci a fait très fort en fin de semaine dernière. Développant tous ses talents de communicants durant la journée de vendredi, il a réussi à faire suffisamment peur pour provoquer une réunion en urgence du Comité de concertation ce dimanche.

Pour cela, il a usé d’une comparaison-choc : nous avons aujourd’hui autant de nouvelles contaminations que le 12 mars, soit quelques jours avant le confinement. Avec un raccourci stupéfiant, il embraie sur un appel au reconfinement volontaire : 

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J’avais déjà écrit sur ces experts de plus en plus hors de contrôle et qui s’érigent en pouvoir autonome, tout en conseillant très officiellement les autorités politiques. Mais nous sommes ici dans quelque chose qui va bien au-delà de ce que je pouvais imaginer à l’époque.

Ce qu’il est essentiel de comprendre, c’est que la comparaison faite par Marc Van Ranst entre les chiffres de mars et de juillet ne tient pas la route. Xavier Counasse l’expliquait fort bien dans un article du Soir de ce week-end. En substance, il pointe que les cas détectés en mars étaient bien en dessous de la réalité puisqu’à l’époque le nombre de tests effectués était très limité. On ne testait alors que les cas les plus graves qui nécessitaient des soins. Aujourd’hui, la capacité de test est beaucoup plus importante. Résultat : le taux de tests positifs était de 20% en mars contre 1,5% aujourd’hui. Rapprocher les deux chiffres et en conclure que nous sommes à la veille d’une seconde vague qui nécessiterait un reconfinement est donc aussi stupéfiant qu’irresponsable.

Mais il y a un autre élément qui laisse à penser que nous sommes bien loin d’une deuxième vague : le fameux taux de reproduction ou R.

Le taux de reproduction au-dessus de 1. Et après ?

Pour rappel ce taux mesure le nombre de personnes que contamine une personne infectée. En dessous de 1, l’épidémie perd en intensité alors qu’au-dessus, elle progresse. Cette donnée essentielle a aussi fait l’objet d’une comparaison angoissante et fallacieuse ces derniers jours. Ainsi le R est passé au-dessus de 1 la semaine dernière. A cette occasion, il a été rappelé que, au pic de l’épidémie, ce taux était de 1,06. Comprenez : nous serions revenus au pic épidémique, à cette période où les hôpitaux menaçaient d’être saturés. Ce rapprochement est absurde pour au moins deux raisons. La première c’est que dire que le R est proche de 1 au moment du pic épidémique relève de la tautologie. En effet, ce pic correspond au moment où l’épidémie est à son apogée et va commencer à décroître. On est donc, par définition, autour de 1 au moment de ce pic et en dessous après celui-ci. La seconde, c’est qu’un R légèrement supérieur à 1 n’est pas un problème de même nature selon que l’on est, comme aujourd’hui, à plus ou moins 100 nouveaux cas par jour, ou en plein cœur de l’épidémie avec des hôpitaux proches de la saturation.

En effet, si le taux de reproduction et le pourcentage d’augmentation sont des données importantes, il faut aussi tenir compte des chiffres en valeur absolue. Sans cela, on aboutit à des raccourcis qu’illustre bien cette publication Facebook de la RTBF :

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On voit bien ici que le titre alarmiste est contredit par le graphique en illustration, qui donne les chiffres officiels de contamination. Un coup d’œil sur ce dernier montre que, s’il y a un rebond, il est à peine perceptible en regard de l’épidémie. Certes sur les sept derniers jours, l’augmentation est de 79%. Mais en réalité, on passe de 100 cas détectés par jour en moyenne à 177 (données mises à jour le 21/07/2020, source : sciensano). En comparaison, le nombre de nouveaux cas journaliers était de l’ordre de 1500 au moment du pic épidémique, avec des capacités de testing bien inférieures à celles d’aujourd’hui. L’évolution est donc à peine perceptible si l’on abandonne l’analyse au jour le jour pour prendre un peu de perspective. Le graphique illustrant l’article du Soir déjà cité montre d’ailleurs que la Belgique flirte en réalité autour de 100 nouveaux cas par jour depuis la mi-juin – un peu en dessous depuis début juillet, bien au-dessus la semaine dernière. Nous sommes donc toujours dans les mêmes eaux, c’est-à-dire une épidémie qui n’a pas disparu, mais qui continue à se propager de manière marginale. Ramené à la population belge, le taux d’incidence (nombre de cas positifs pour 100.000 habitants) reste bien inférieur à 20, soit à un niveau non problématique.

Ce qui serait problématique, c’est si le nombre de cas explosait comme en mars dernier. Et c’est là que l’on peut revenir à la comparaison faite par Marc Van Ranst. En effet, le problème au début du mois de mars n’était pas le nombre de personnes contaminées mais l’augmentation exponentielle de ce chiffre. A l’époque, le taux de reproduction n’était pas à plus ou moins 1 mais supérieur à 3. Allons-nous revenir à cette situation d’explosion épidémique ? S’il y a une chose dont on peut être à peu près sûr aujourd’hui, c’est que la réponse à cette question est négative. En effet, ce R supérieur à 3 était d’actualité avant le confinement, à un moment où nous n’avions ni capacité de test suffisante, ni tracing, ni masque, ni geste barrière. Pour revenir à cette situation, il faudrait que l’on abandonne consciencieusement tout ce que nous avons pu apprendre depuis le début de l’épidémie. Bien sûr, chacun est libre de croire à cette fable. Aujourd’hui le taux de reproduction est bien supérieur à 1 en Belgique. Mais il faut comprendre qu’un R légèrement au-dessus de 1 traduit une augmentation légère et lente, qui n’est pas véritablement problématique si elle reste à ce niveau.

La faible gravité des nouveaux cas

Mais il y a encore un autre élément qui n’est pas pris en compte dans les chiffres communiqués, et qui doit amener à fortement relativiser les déclarations alarmistes : la gravité des cas constatés. En effet, on communique le nombre de cas positifs mais non, parmi ceux-ci, la part d’asymptomatiques ou de personnes présentant peu se symptômes. En l’absence d’information à ce sujet, le critère le plus pertinent est le nombre de nouvelles hospitalisations Covid. Or cette donnée reste stable à un niveau extrêmement bas : 12 par jour en moyenne. Prenons encore une fois un peu de perspective : au pire de l’épidémie, nous en étions à 600 admissions Covid par jour. Aujourd’hui certains s’inquiètent d’une hausse des hospitalisations, car nous sommes passés d’une moyenne de 10 à 12. Il est peut-être utile de rappeler ici que la Belgique compte 11,5 millions d’habitants. Dans ces conditions, n’importe quel étudiant en statistique vous dirait que, certes, passer de 10 à 12 représente une augmentation de 20%. Mais il ajouterait qu’avec des valeurs aussi basses, cette augmentation n’a aucune signification.

La courbe des nouvelles admissions quotidiennes. On cherche encore le rebond.

Mais Marc Van Ranst l’assure : les admissions en hôpital vont augmenter. En réalité, il ne prend pas un grand risque à lancer une telle prédiction : le niveau actuel est tellement bas qu’il ne peut qu’augmenter. Mais il serait pourtant étonnant qu’il augmente dans les mêmes proportions que le nombre de cas recensés, puisque ceux-ci ont pour la plupart moins de 40 ans. En d’autres termes, l’augmentation dont on parle depuis plusieurs jours est principalement constituée de cas légers ou asymptomatiques, qui seraient auparavant passés inaperçus – les tests étant alors réservés aux cas graves. Même si le nombre d’admissions journalières double ou triple, nous serions toujours dans des proportions qui n’ont rien à voir avec la situation du printemps dernier.

Deuxième vague, rebond et clusters

A la base de cette mauvaise interprétation des chiffres, il y a la confusion entre différents termes. D’abord ceux de « deuxième vague » et de rebond de l’épidémie. La deuxième vague est attendue depuis longtemps mais elle n’est jamais arrivée. Ni en Belgique ni ailleurs. Ce que l’on présente souvent comme une deuxième vague est la plupart du temps une reprise de l’épidémie suite à des déconfinements trop rapides. La courbe épidémique a baissé, mais jamais aux niveaux extrêmement bas où sont les pays européens aujourd’hui – à l’exception de la Suède. Une autre possibilité est de voir cette deuxième vague advenir dans des régions ou des pays initialement épargnées par le Covid-19. En réalité, il ne s’agit alors pas de la deuxième vague, mais de la première.

Il y a en revanche bien des rebonds et des reprises, mais elles sont, en Europe, très localisées. D’où l’intérêt de réfléchir en termes de clusters et non avec des données globales comme le taux de reproduction. En effet, si un ou plusieurs clusters surviennent dans une région où le nombre de cas est faible, le R peut exploser. Mais c’est une illusion statistique. Certains observateurs ont fait cette erreur dès le mois de juin avec des Länders allemands où l’on pointait des taux de reproduction supérieurs à 2. Il s’agissait en réalité de clusters qu’il s’agissait de circonscrire et non d’une augmentation globale.

Le gros problème en Belgique, c’est qu’il semble que l’on soit toujours dans cette approche globale. Emmanuel André pointait bien ce problème sur twitter :

Suite à cette intervention, Sophie Wilmès a demandé à Sciensano d’affiner ses chiffres par jour et à un niveau plus local. Précisées au niveau géographique, les données ont bien montré que le problème venait de trois provinces flamandes et précisément d’Anvers.

Mais, si il va dans le bon sens, cet affinement de chiffres globaux est loin d’être aussi pertinent et utile qu’une approche par cluster. Si l’on s’était concentré directement sur les clusters, on aurait vu très vite ce que l’on commence seulement maintenant à percevoir : la présence de plusieurs clusters à Anvers. Outre la rapidité de détection et donc de maîtrise, identifier les clusters permet de déterminer les circonstances de contamination, et donc de tirer des leçons (pour un bon exemple de ces enseignements, voir ici). On se demande donc bien pourquoi cette approche par cluster n’est pas privilégiée en Belgique. A moins que cette approche soit bien employée mais qu’il n’en soit fait aucune communication ? Ce serait alors regrettable, puisque donner des informations sur les modes de contamination permet aux autorités et aux citoyens d’adapter leur comportement.

Quid du testing fédéral ?

Mais le fait qu’une organisation de tracing se mette en place au niveau de la province d’Anvers suggère une autre explication. En effet, si la cellule interfédérale en charge du tracing était capable d’effectuer ce travail de manière rapide et fiable, pourquoi réinventer une telle structure au niveau de la province ?

On comprendrait alors pourquoi les autorités sanitaires belges n’adoptent pas cette approche par cluster. Ce serait tout simplement parce qu’ils ne disposent pas d’un outil de tracing efficace, nécessaire pour une telle approche. Hier, Yves van Laethem a annoncé que la méthode de tracing va être améliorée pour être plus rapide. On ne peut que regretter qu’il ait fallu attendre ce « rebond » de l’épidémie pour constater que cette amélioration était nécessaire.

Quoi qu’il en soit, il semble qu’il faille urgemment se poser cette question capitale : la Belgique est-elle aujourd’hui capable d’identifier les clusters sur son territoire de manière suffisamment rapide pour les circonscrire ? Si la réponse est négative, nous pourrions peut-être nous inspirer de ce qui se pratique chez nos voisins européens.

Ce billet initialement publié le 19/07 a été mis à jour le 21/07. Une version allégée de celui-ci a été publié dans La Libre Belgique ce même jour.

En complément, je vous recommande cet article de France Info qui passe au crible les positions prises par le Professeur Yonathan Freund, avec lesquelles je suis largement en phase. Dans cet article, il est confirmé par les autorités sanitaires françaises que le taux de reproduction (R0) n’est pas vraiment pertinent lorsque l’épidémie est à un niveau très bas comme celui que nous connaissons.

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